Article paru dans traits/urbains n147
Elle se projetait dans l’univers artistique, en lien avec la scénographie. C’est justement la raison pour laquelle Lina Singer intègre dans le courant des années 80 l’Ecole nationale des arts appliqués et des métiers d’art (Ensaama) Olivier de Serres, à Paris. Au sein de ce prestigieux établissement, cette passionnée d’art contemporain – entre autres – « prend beaucoup de plaisir, touche à de nombreux métiers d’art ». Elle en ressort avec un diplôme de plasticienne de l’environnement urbain et architectural mais n’opte finalement pas pour la voie artistique : « très complexe, très exigeante » et sans doute aussi, le poids d’un père artiste accompli : musicien, compositeur… « Le paysager m’intéressait ».
Elle frappe à la porte de l’agence Signes Paysages dirigée par Alain Provost et Alain Cousseran. Le duo se laisse convaincre par cette autodidacte… qui passera quand même par deux ans de stage, avant d’être embauchée en 1990. Elle n’a par exemple aucune notion d’horticulture mais une plus-value : « une lecture spatiale et plastique qui les intéressait car complémentaire de leur pratique ». La mise en application ne tarde pas. Elle prend la forme des aménagements urbains du tramway de Bordeaux. Lina Singer migre dans le Sud-Ouest et reconnaît avec le recul « une très belle expérience avec l’enjeu de redonner une intensité à la ville. J’y ai beaucoup appris ». Elle ne cache pas quelques regrets – « à cette époque, nous n’étions pas encore attentifs à la problématique du développement durable » – et frustrations : ne pas être en mesure d’embarquer « ma famille » dans la réalisation des projets. Autrement dit, les artistes, plasticiens, etc. C’est tout l’enjeu de LS2 fondée en 2013, installée à Bordeaux, dans le quartier de Bacalan : « je souhaite réintégrer dans la fabrique de la ville des gens qui ont un autre regard ». Lina Singer apprécie être « bousculée par les artistes, qui ont un sens très fin de l’urbanité », glisse-t-elle. Mais aussi par « les experts d’usage », c’est-à-dire les habitants, les citoyens. Elle a ainsi créé l’Artichaut, une association adossée à LS2.
Elle « calque les principes de l’urbanisme tactique : mesurer, tester, ajuster », ce qui sous-tend une forme de souplesse, de temps long aussi. « Bien sûr, on ne peut pas faire ça partout », concède-t-elle. Artistes, habitants… À ses yeux, « c’est en se confrontant à cette lecture plurielle qu’on livre le meilleur de nous-même ». Elle y trouve ainsi un levier pour « enrichir son écriture » comme elle le dit, en référence à cette façon qu’elle a « de malaxer les plans, pour livrer la chose la plus simple et la plus ergonomique possible ». Ce qu’elle s’efforce d’appliquer sur des projets « qui lui tiennent à cœur ». Elle cite la mutation du campus Montaigne-Montesquieu situé sur le domaine universitaire de Bordeaux. « C’est passionnant de travailler sur les campus : leur écriture fonctionnaliste façon machine à étudier qu’on essaie de modifier, leurs espaces extérieurs de grande ampleur à réinvestir »…
Avec le loisir bien sûr d’y introduire une écriture artistique, pour, précise la co-directrice de Bordeaux Art Contemporain (BAC) – qui regroupe des structures engagées dans la production et la diffusion de l’art contemporain au sein de la métropole – « une œuvre qui se donne non pas à regarder mais à usager ». À méditer… (DP)